Un « voyage de merde » pour se retrouver

Par Charlotte Hechler

C’est ainsi que Samuel (Kacey Mottet Klein) qualifie le périple dans lequel sa mère (Virginie Efira) va l’entraîner. Dans le nouveau film de Joachim Lafosse, une mère et son fils doivent CONTINUER et se retrouver dans l’étendue déserte du Kirghizistan. Le drame est un western contemporain qui raconte l’histoire d’un voyage au bout duquel mère et fils rentreront transformés.

Deux tentes, deux chevaux dans la prairie kirghize. Sybille (Virginie Efira) a trainé son fils rebelle de 18 ans, Samuel (Kacey Mottet Klein), dans un voyage à cheval dans ce pays peuplé de semi-nomades. Le film raconte l’histoire d’une mère qui tente le tout pour le tout pour sauver son fils. Samuel s’est fourré dans un sale guêpier et a dû passer en correctionnelle. Mais ce n’est pas seulement Samuel qui s’échappe d’un monde plein de violence, mais aussi Sybille, qui, elle aussi, doit faire face à ses propres démons.

Dans ce paysage paisible, impressionnant, on ne voit que les rochers et l’immensité de la prairie d’Asie centrale. Dans ce contexte, nous faisons connaissance de Sybille et de Samuel qui traversent une vallée à cheval. Comme Samuel cherche sa mère tout au début, on s’attend à un film qui traite du thème du rapport mère-fils. La première impression ne nous permet pas d’apprendre beaucoup de choses sur eux. On remarque pourtant qu’ils savent monter à cheval, que Samuel n’écoute que de la musique sur son iPod et que c’est la mère qui essaye, la carte à la main, de les guider tout au long du voyage.

Les personnages principaux convainquent dans leurs rôles de personnes occupées par elles-mêmes, mais qui veulent, en leur for intérieur, se donner une dernière chance. Kacey Mottet Klein joue le rôle d’un adolescent rebelle qui s’est retrouvé dans une impasse, et qui a été forcé par sa mère à faire « ce voyage de merde ». Il prouve son talent tout au long du film en montrant un développement dans l’attitude de Sam. Tout d’abord, il n’a aucunement envie de faire cette randonnée à cheval. Puis, il s’engage dans ce projet de reprendre sa vie en main, mais changer ses anciens modèles est une vraie lutte. Bien que ce soit sa mère qui ait initié le sauvetage de la vie de Sam, elle est rattrapée par ses problèmes personnels et elle n’est pas une aide dans la lutte de son fils. Virginie Efira joue le rôle d’une mère divorcée, longtemps absente, qui a investi tout ce qu’elle avait dans ce voyage à cheval, à l’autre bout du continent. Et pourtant, elle ne sait pas comment réussir à créer une relation solide avec Samuel. Virginie Efira est parfaite dans le rôle d’une femme forte décidée à bien faire les choses.

Le film se focalise sur les personnages principaux, souvent on voit seulement les deux cavaliers en plan rapproché. Puisqu’ ils sont toujours en train de chercher leur chemin pour traverser la prairie, des scènes longues présentent le paysage kirghize en plan général. Le spectateur se trouve désorienté et fasciné face à l’étendue des montagnes du Kirghizistan. Comme il n’y a pas beaucoup de dialogues, le film doit beaucoup à son décor, c’est pourquoi il faut le voir sur grand écran.

Le réalisateur Joachim Lafosse a tourné sa première adaptation littéraire avec le drame « Continuer ». Laurent Mauvignier, l’auteur du roman du même titre, lui a proposé de travailler avec Virginie Efira. Le fait que le film soit tiré du livre éponyme explique pourquoi « Continuer » se distingue à première vue des autres films réalisés par Joachim Lafosse. L’étendue des montagnes kirghizes marque une rupture avec ses autres films, tournés dans de petits appartements. Mais de plus près, le drame traite encore une fois d’une relation de famille difficile et de personnages repliés sur eux-mêmes.

Le film vit de l’évolution constante de la relation mère-fils. Cette évolution est réalisée d’une manière réussie parce que Sam et Sybille se rapprochent étape par étape. Le drame commence par l’ignorance mutuelle et les disputes, puis Sam commence à poser des questions « Pourquoi ? » et Sybille essaie de lui parler de ses fantômes du passé, Sam apprend à faire confiance à l’inconnu et Sybille sait dire qu’elle est fière de son fils. Le développement de Sam est particulièrement impressionnant, ainsi il déclare, arrivé au bout du voyage, « C’est beau, ici ». À la fin, on observe une rupture de cette évolution – mais la vie est ainsi faite – et il faut « continuer vers l’autre ».

CONTINUER, Belgique, France 2018 – Réalisation : Joachim Lafosse. Scénario : Joachim Lafosse, Thomas Van Zuylen. Image : Jean-Francois Hensgens. Avec : Virginie Efira, Kacey Mottet Klein, Diego Martin. Durée : 84 Min.

Charlotte Hechler (24 ans) fait les études de français à l’université de Tübingen. Pendant le festival international du film francophone à Tübingen, elle a été impressionnée par la gamme étendue du programme du festival.

Quelle des Fotos: © Kris Dewitte