La magie du Marimba

Propos recueillis par Büsra Karapinar et Nadischa Rathje

Omar Aloulou a composé la musique du film « Weldi, mon cher enfant » qui a été présenté lors du festival du cinéma francophone de Tübingen. Dans l’entretien il parle du rôle de la musique dans le film, de son travail et de son pays d’origine, la Tunisie.

Pourquoi composez-vous de la musique de film ?

J’ai commencé à le faire d’une manière naturelle, vu ma grande passion pour la musique. J’ai fait mes premières compositions quand je n’avais que 14 ans. Au début, c’était sous forme de blagues, je jouais de la musique parodique avec un de mes cousins, et ensuite je faisais cela d’une manière un peu plus sérieuse.

Vous ne trouvez pas qu’il y a très peu de musique dans « Mon cher enfant » ? Comment définissez-vous le rôle de la musique dans ce film ?

Alors le réalisateur dirait qu’il y a trop de musique parce qu’il a toujours très peur qu’il y en ait trop. Un des rôles de la musique dans ce film a été de faire ressentir un peu le caractère du personnage principal qui est le père. Il a un côté gauche et un côté presque drôle comme il est un peu maladroit. Nous avons trouvé que l’instrument de musique, Marimba (Xylophone), correspondait vraiment au personnage. Concernant l’utilisation de la musique, on ne voulait pas accompagner les scènes de dialogues, c’était vraiment plus pour illustrer les moments de solitude.

À quel point étiez-vous indépendant pour composer la musique du film ?

J’étais quasiment totalement indépendant. Etant ami avec le réalisateur, j’ai eu la chance de pouvoir lire le scénario à l’avance. Au départ, j’ai travaillé sur le scénario plutôt que sur les scènes. Bien sûr, comme avec toute l’équipe du film, il a fallu trouver un accord.

Parlons un peu plus de votre méthode de travail. Comment trouvez-vous l’inspiration pour vos œuvres musicales ?

Moi, je ne suis pas quelqu’un qui croit beaucoup à l’inspiration. Mais en même temps, je vais me contredire tout de suite. Le thème qui a été choisi, je l’ai trouvé presque naturellement. Je voulais faire un thème qui ne va pas jusqu’au bout comme le caractère du personnage principal.

A côté du film « Mon cher enfant » vous avez aussi composé la musique des films « Benzine », « Fleur d’Alep » et « Hedi, un vent de liberté ». Tous ces films traitent de conflits familiaux. Dans « Fleur d’Alep » et « Mon cher enfant », l’État islamique est un thème central.  Pourquoi êtes-vous inspiré par ces sujets ?

Pour moi « Fleurs d’Alep » et « Weldi » sont totalement, radicalement différents. Dans « Weldi », le thème principal, ce n’est pas l’État islamique, mais les drames sociaux et surtout une représentation de l’époque. Quand j’ai vu « Hedi, un vent de liberté » je l’ai tout de suite aimé. Quand j’ai lu le scénario du film « Weldi » j’étais complètement emballé parce qu’il traitait justement de l’époque. Quant au choix des films, j’avoue que ce ne sont pas des films que je suis allé chercher moi-même, ce sont les réalisateurs qui sont venus me voir. Si un film ne m’inspire vraiment pas, je ne vais rien faire de bien. Néanmoins, je peux ne pas aimer un film, mais il peut m’inspirer d’une certaine manière.

 

Dans le film « Mon cher enfant » le réalisateur Mohamed Ben Attia a un regard critique sur la société tunisienne. Quel regard portez-vous sur votre pays dorigine ?

Je me sens Tunisien et, en même temps, je ne me sens pas Tunisien. C’est bizarre, je ne me sens pas autre chose non plus. Et je ne me sens pas non plus un citoyen du monde, non, moi je n’y crois pas. J’ai une relation assez particulière à mon pays. Je trouve qu’il va vraiment mal. Et paradoxalement, j’y vois de l’espoir. On a eu deux dictatures, l’une après l’autre, et moi, j’ai vécu dans l’une des deux. Autant, j’ai eu de l’espoir, autant la désillusion a été immense. Il y a beaucoup de vide spirituel. Cela ne concerne pas seulement mon pays, mais, en Tunisie, on le ressent. Et je pense que c’est un peu ce qui est montré dans le film. Finalement, on dit que le bonheur n’est accessible que par la consommation. Et c’est terrible, pour moi, la société tunisienne est comme cela. On vit dans une fausse société religieuse, on a la religion d’État qui est l’islam, et en même temps, il n’y a pas du tout de spiritualité.

 

C’est quoi d’après vous un bon compositeur de musique de film ?

Un bon compositeur de film est quelqu’un qui sait s’effacer pour se mettre intégralement au service du film. Si le film nécessite qu’il se mette en avant, il se met en avant. Si le film ne nécessite pas qu’il se mette en avant, il s’efface. Je me rappelle quand j’ai composé la première fois pour le film « Hedi, un vent de liberté ». J’étais très content de mon travail. J’ai envoyé la musique à Mohamed qui m’a dit : « non ça ne va pas du tout ». C’était dur pour mon ego. En fait, j’ai compris une chose, c’est qu’on se met au service du film, l’ego on le met de côté. La musique de film est liée à l’histoire, aux images, aux intentions du film, ni plus ni moins.

Omar Aloulou, un compositeur tunisien qui est passé par le rock, la musique électronique et celle de films. En 2015, il sest mis à composer ses premières musiques de films en commençant par « Hedi, un vent de liberté », suivi entre autres par « Weldi, mon cher enfant » qui a été présenté cette année au festival de Cannes lors de la Quinzaine des Réalisateurs.

Büsra Karapinar (24) et Nadischa Rathje (25) font des études du français à l’université de Tübingen. Elles ont trouvé particulièrement intéressant que le film « Mon cher enfant » soit réussi sans beaucoup d‘ accompagnement musical.