« Mon film, il n’est pas autobiographique mais personnel. »
Propos recueillis par Katharina Söll et Charlotte Hechler
C’est son premier film francophone. Dans Le Vent Tourne, la réalisatrice Bettina Oberli lie une histoire d’amour avec des expériences personnelles et des questions critiques. Un entretien sur l’écologie, les émotions, les changements et sur l’émancipation.
Votre film Le Vent Tourne est un drame sentimental sur fond d’écologie. Il s’agit d’un jeune couple qui vit dans le respect de la nature. Le titre, est-il une référence au changement dans la relation du couple ou plutôt à l’écologie ?
Le titre symbolise les deux mouvements. C’est un titre métaphorique et on peut l’interpréter de différentes façons.
Après avoir vu le film, nous avons eu l’impression qu’une vie aussi alternative est presque impossible ou qu’elle existe seulement pour les rêveurs. Pourquoi est-ce que ce concept de vie est présenté comme étant si difficile dans votre film ?
Je veux montrer dans ce film qu’une vie menée dans l’autarcie n’est pas facile à vivre. Ça demande beaucoup de sacrifices de faire le choix de vie de Pauline et d’Alex. Ils en payent le prix. Ce n’est pas impossible, mais c’est dur, c’est le contraire des rêveurs. Ils ne rêvent pas, ils essaient très concrètement de vivre dans le respect de la nature.
Et pour cela, il faut travailler ?
Il faut travailler, il ne faut pas lâcher, il ne faut jamais abandonner. Pour Alex, c’est possible de mener cette vie. Mais à la fin, il paie le prix de la solitude. Enfin, il ne perd pas sa force et il va décider de toujours continuer.
En effet, il perd son amour à la fin et il se décide pour un autre chemin ?
Exactement. Pour lui, sa mission est plus forte que le reste. Au contraire, Pauline n’est pas si radicale. Il faut également dire que dans l’histoire, Alex tombe presque dans une fièvre radicale dès qu’il sent qu’il est en train de perdre sa femme. Je crois que le radicalisme est toujours dangereux, dans la religion, dans l’écologie, dans divers aspects de la vie.
Est-ce que vous avez apporté dans ce film des expériences personnelles de la vie rurale ?
Oui. J’ai grandi dans les montagnes suisses, mais jamais à la ferme. Mais nous étions entourés par des fermiers. Je viens vraiment d’un village de paysans.
Avez-vous trouvé l’inspiration pour ce film dans les montagnes suisses ?
Oui, bien sûr. Le film n’est pas autobiographique, mais il est personnel.
Ce film est votre premier film francophone et pour cette raison, vous êtes assez nouvelle dans le cinéma français. Est-ce que le tournage s’est distingué de celui de vos films germanophones ?
On tourne des films partout de la même façon. Dans mon travail, il faut être vraiment précis dans la communication. Je dois observer, donner des inspirations. Parfois, c’était difficile pour moi de trouver les mots justes pour arriver à dire ce que je voulais.
Pendant le tournage, dans quel sens les acteurs ont-ils influencé le scénario ?
À vrai dire, le scénario était déjà fini, écrit et bien pensé. Le film n’est pas un film d’improvisation, mais les acteurs ont parfois demandé à pouvoir changer leur façon de s’exprimer. Cependant, on n’a jamais changé le contenu. Évidemment, les acteurs amènent toujours quelque chose. Dès le moment où ils sont dans le film, c’est leur visage, c’est leur corps, c’est leur apparence qui a un fort impact sur l’ensemble. Jusqu’au moment du tournage, tout est seulement sur le papier. Tout à coup, grâce aux acteurs, l’ensemble devient vivant. C’est magique.
Comme par exemple Mélanie Thierry qui joue un rôle très impressionnant. Pourquoi avez-vous choisi cette actrice pour le rôle de Pauline ?
C’était un choix pour surprendre. Je l’ai vue dans beaucoup de films historiques ou dans des rôles où elle était traitée un peu comme une poupée, très maquillée, parce qu’elle est très belle et photogénique. J’avais envie de donner ce rôle à quelqu’un à qui on ne pense pas sur le coup. Derrière sa beauté, j’ai toujours vu un côté sauvage et libre. Bien que Mélanie soit très petite, elle a une force incroyable. J’avais envie de travailler avec cette force.
La fin de votre film est plutôt ouverte. Pour quelles raisons avez-vous choisi cette fin et selon vous qu’est-ce que Pauline fait après ?
Je crois qu’elle va un peu explorer le monde et peut-être recommencer ailleurs, mais avec les mêmes convictions. Elle va faire quelque chose qui va dans la même direction. Moi, j’adore cette fin un peu ouverte parce que comme ça, le film continue à résonner dans l’esprit du spectateur. Si tout est déjà raconté, on peut aller à la maison en oubliant l’histoire.
C’était très important de montrer qu’elle ouvre la porte pour s’en aller. Il ne faut pas dire ce qu’elle fait concrètement après. En revanche, ce qu’il est important de montrer, c’est qu’elle fait un pas vers l’avenir. L’horizon s’ouvre devant elle et pour moi, c’est sa vie.
Pourrait-on dire que le film est un peu féministe et traite également de l’émancipation de Pauline ?
Oui, absolument. Mais pas dans une situation négative. Au fond, tout va bien, même avec Alex. Elle se détache de quelque chose qui n’est pas mauvais. Alex n’est pas un homme méchant. Mais Pauline sait à l’intérieur que ça ne peut pas être tout. La protagoniste quitte son compagnon, pas pour un autre mais vers un autre.
Il y a les trois personnages, un triangle amoureux : Alex, Pauline et Samuel. Un autre personnage, c’est Galina, une fille ukrainienne. Est-ce qu’elle joue aussi un rôle dans le chemin vers l’émancipation de Pauline ?
Oui, absolument. Elle la tient par la main. Galina porte une force énorme et se comporte d’une façon plus adulte que Pauline. Elle est comme une sœur ou un écho sur le trajet de Pauline.
Bettina Oberli, née en 1972 à Interlaken, a grandi à Meiringen, un village rural. La réalisatrice et scénariste suisse est devenue célèbre pour ses films germanophones Die Herbstzeitlosen (2006) et Tannöd (2009), et cette année, elle a présenté son premier film francophone Le Vent Tourne (2018) au Locarno Festival 2018.