Un homme pressé : il y a de quoi se presser vers les écrans

Par Kossi Themanou

Au grand dam de ses proches, Alain menait une vie professionnelle extraordinaire jusqu’au jour où il est victime d’un accident vasculaire cérébral (A.V.C) aux conséquences considérables : troubles de la mémoire, doublés d’une impossibilité de parler intelligemment. C’est sur le fond de cette histoire réelle, qu’Hervé Mimran puise la matière première de sa quatrième réalisation et de son premier solo. Dans cet angle d’ouverture, d’allure tragicomique, Fabrice Luchini entre dans la chair du personnage principal, Alain, l’assumant pleinement et entièrement.

L’homme pressé d’Hervé Mimran est l’histoire d’un homme d’affaires parisien respecté et influent. Entre ses interventions à la fac, ses conceptions et réalisations de projets dans le domaine de l’automobile, et ses fonctions de leadership, Alain fait en permanence la course contre la montre. Suffisant et à la limite de l’arrogance, Alain n’accorde aucune considération à l’état d’âme de ses proches et pensait avoir le monde dans sa pogne. Puis, l’homme célèbre est subitement victime d’un AVC qui provoque chez ce dernier des troubles du langage et de la mémoire. Jadis brillant orateur, il doit faire appel à une jeune orthophoniste, Jeanne (Leïla Bekhti), pour retrouver le moindre propos intelligible. Autrefois égocentrique, Alain va, en contrepartie, aider Jeanne à trouver ses parents naturels qu’elle recherchait depuis plusieurs années. Toutefois, contrairement à sa vraie personnalité, il lui faut faire preuve de beaucoup de patience et de repos lors de sa rééducation.

C’est l’histoire de Christian Streiff un ancien dirigeant de Peugeot, PDG d’Airbus et de PSA, qui était un orateur brillant et un expert hyper sollicité, qui constitue la toile de fond du film.

En dehors de son aspect très comique, ce film exhorte à une véritable prise de conscience sur le style de vie que l’on adopte. En effet, l’éternelle recherche d’une certaine notoriété et le regard que porte la société sur les personnes en vue, influencent considérablement leurs prises de décision et leurs rapports aux autres. Pire encore, l’oubli d’eux-mêmes derrière la renommée, provoque la mise au rancart de leurs valeurs personnelles et leurs besoins vitaux. Les discours tels que « Je me reposerai quand je serai mort. », « Je ne suis pas obligé de vous dire merci. », « Oui, tu es ma fille et je t’aime, mais je n’ai pas de temps pour toi. Ce que tu veux me dire peut attendre… » démontrent qu’Alain est déconnecté de ses proches.

Jouant avec le cadrage, le réalisateur touche les spectateurs et provoque des émotions chez ces derniers. La scène de l’AVC va marquer une transition entre les deux faces du personnage qu’incarne Alain dans le film. D’un respectable et brillant homme d’affaires, on passe à un monsieur ridicule qui dit « mercandi » au lieu de mercredi, « un cheval qui salope » à la place de « un cheval qui galope ». D’une manière aussi bien réaliste que drôle, ce film provoque une réflexion sur la vraie identité de chaque personne, mais aussi sur la primauté de ses besoins ou de ses actes. La scène du limogeage d’Alain, manu militari, démontre l’ingratitude de l’entreprise à laquelle il a consacré une partie de sa vie. Mais ce licenciement sera aussi une opportunité de se reconnecter avec sa fille et son entourage proche. C’est essentiellement un message pédagogique que véhicule Un homme pressé.

« Chaque étape de la réalisation de ce film, a été fait sous contrôle de Christian Streiff et de son médecin. Il tenait à ce que le film reste fidèle à son histoire. Cela a rendu les choses plus difficiles… » a laissé entendre un membre du staff, lors de la première diffusion mondiale du film à Tübingen. 

Évidemment que le talent de Fabrice Luchini a été d’une importance capitale dans la réussite de ce film. Cet acteur qui est extrêmement connu pour être un très beau et grand parleur dans ses scènes, a su parfaitement s’adapter à ce rôle contre nature. Il bégaye, mélange les syllabes, trébuche sur les mots, caricaturant ainsi une anomalie chez l’homme. En plus, son visage illuminé, naturel et déconcertant associé à la répétitive incohérence de ses actes, provoquent à la fois le rire mais aussi l’empathie du spectateur. L’usage de la caméra fixe, la simplicité des scènes et l’originalité des images ont été un coup de maitre du réalisateur. Les scènes de thérapie avec l’orthophoniste, Jeanne, la « psychopathe » comme Alain l’appelle, fait montre d’une impeccable complicité et suscitent également énormément d’émotions.

Finalement, une vie meilleure ne s’apparenterait donc pas à une course de vitesse, mais plutôt à une course de résistance ou d’endurance. Tout comme le personnage qu’il incarne dans le film, Alain, l’homme pressé se retrouve au chômage et est obligé de tout recommencer. Ce film est une véritable leçon de vie. Le réalisateur a ainsi réussi à provoquer une remise en question intérieure chez le spectateur. Tel que le rêvait Christian Steiff, de l’œuvre artistique à l’outil pédagogique, ce film est une mission accomplie.     

Un homme pressé, France, 2018 – Reálisation : Hervé Mimran. Scénario : Hervé Mimran. Image : Jérôme Alméras.  Avec : Fabrice Luchini, Leïla Bekhti. France. 100 min.

Kossi Themanou (29), étudiant en science des médias à l’université de Tübingen. Alors qu’il n’était pas vraiment cinéphile, le festival du film francophone de Tübingen a finalement été l’occasion pour lui de tomber amoureux du septième art. Il a été impressionné par ses échanges avec les réalisateurs invités, mais aussi séduit par leurs œuvres.