Une réalisatrice suisse tourne…

Par Katharina Söll

…son premier film francophone dans les montagnes jurassiennes. Le Vent Tourne, un drame sentimental de Bettina Oberli, dessine non seulement la transformation d’une jeune femme et de son couple, mais traite aussi de changements concernant l’écologie et l’émancipation.

A-t-on le droit de continuer à vivre comme on le fait tout simplement, vu que c’est déjà trop tard pour changer encore quelque chose ? Ou, faut-il essayer de sauver notre planète en sacrifiant tout à l’écologie et en renonçant au reste, même à l’amour ? Reste-t-il de la place pour nos plaisirs, nos désirs et nos rêves ?

Ces questions, on se les pose en sortant de la salle de cinéma après avoir vu ce film, dont la fin est ouverte. La dernière scène montre la protagoniste devant le panorama jurassien, un paysage assez vaste. Elle regarde vers le ciel en cherchant sa voie et des réponses. Et le spectateur ne sait pas où elle va aller, quelle direction elle va prendre.

Le Vent Tourne peint le portrait d’une jeune femme très simple et naturelle. Elle s’appelle Pauline (Mélanie Thierry) et vit avec son petit ami Alex (Pierre Deladonchamps) dans une ferme qu’elle n’a jamais quittée. Pauline aime Alex, un homme radical, plein de visions pour un monde meilleur, et elle fait partie de son projet. Leur couple est imprégné par l’harmonie et une profonde tendresse. Ils vivent loin de la sociétédans le respect de la nature, en quasi autarcie. Leurs journées sont longues, ils travaillent dur, élèvent leurs bêtes et cultivent leur nourriture. Pour produire leur propre électricité, ils installent une éolienne dans la ferme, épaulés par Samuel (Nuno Lopes), un architecte portugais. C’est un homme charmant, mais avec une autre vision de la vie. Sa question : « Il est où, votre plaisir ? », bouleverse les sentiments de Pauline et provoque de fortes perturbations dans le couple, jusqu’à présent si harmonieux. Pauline se sent de plus en plus attirée par cet homme et s’éloigne en même temps d’Alex.

Bettina Oberli a bien choisi la distribution pour le rôle de Pauline. Mélanie Thierry, dans ce rôle inhabituel, incarne parfaitement le portrait d’une femme affectueuse mais en train de se perdre. Naturelle, avec une grande force, l’actrice joue expressivement et d’une façon authentique, ce qui tient le film.

Grâce au cadrage, le spectateur éprouve toujours de la compassion pour Pauline. Très souvent, c’est le visage de la jeune femme qui est filmé pour montrer toutes ses émotions, ses désirs et ses peurs. Plusieurs fois, pas seulement à la fin, on voit Pauline regarder le ciel agité par le vent. Cette image revient tout au long du film, comme un fil rouge. C’est l’image d’une femme qui est en train de changer sa vie et sa manière de penser. Elle se détache lentement des hommes, d’abord d’Alex et finalement aussi de Samuel. Elle veut être indépendante et commence à décider par elle-même. On y voit son chemin d’émancipation et le fait qu’elle comprend, de plus en plus qu’elle doit vivre sa vie comme une femme à part entière.

Le film, au fond plutôt sombre, est éclairé par le second rôle de Galina, une jeune Ukrainienne qui vit également à la ferme avec le couple. D’un côté encore très infantile, de l’autre déjà très raisonnable, Galina devient la complice de Pauline. Elle l’encourage, la distrait et lui montre une certaine légèreté de vivre. On les voit danser en boîte ou s’endormir dans les bras l’une de l’autre. Galina est comme une amie, comme la sœur de Pauline qui l’aide sur le chemin de l’émancipation et de la découverte d’elle-même.

Grâce à son charme et son attitude insouciante, cette jeune femme est la chouchoute de tout le monde. Elle fait rire non seulement son entourage, mais aussi, assez souvent, les spectateurs et rend, de ce fait, le film plus léger.

La réalisatrice joue remarquablement avec les éléments de la nature. Premièrement, c’est le vent qui fait se dérouler le film. Il souffle parfois d’une façon légère et calme, parfois il est très agité, presque dangereux. Le vent représente la métaphore du changement ; tout d’abord le changement personnel de Pauline, mais il symbolise également un changement plus profond. Bettina Oberli veut faire allusion au monde qui est en train de changer. Elle reprend des sujets liés à l’écologie et veut par ce biais montrer qu’il faut se réorienter et agir.

De plus, la réalisatrice travaille avec le brouillard comme élément symbolique. Il apparaît au Creux du Van, quand Pauline veut montrer à Samuel et Galina le beau paysage des montagnes jurassiennes. Le brouillard fait tout disparaître et évoque une situation inquiétante. Il représente l’incertitude de la protagoniste et la peur de se perdre.

Dans l’ensemble, Le Vent Tourne est un film à double facette ; d’un côté perçu comme un divertissement grâce à la romance liant les deux personnages principaux, il pousse de l’autre à la réflexion dans le sens où ce long-métrage amène le spectateur à réfléchir sur les questions liées notre présent.

Le Vent Tourne, Suisse, 2018 – Réalisation : Bettina Oberli. Scénario : Bettina Oberli, Antoine Jaccoud Image : Stéphane Kuthy. Avec : Nuno Lopes, Mélanie Thierry, Pierre Deladonchamps, Anastasia Shevtsova . Durée : 1h27mn.

Katharina Söll (23) est étudiante de français et de biologie à l’université de Tübingen. Pendant le festival, elle a surtout été impressionnée par les discutions intéressantes et profondes après les projections.