Ni plaisir ni divertissement

Par Kathrin Fotler

Certes, « Ni juge ni soumise » ne compte pas parmi les documentaires traditionnels. Le ton sobre, même gai, avec lequel la juge Anne Gruwez résout ses divers dossiers contraste fortement avec la cruauté des crimes. Alors que quelques spectateurs se demandent s’il s’agit d’un documentaire ou plutôt d’un film de fiction, les réalisateurs, Yves Hinant et Jean Libon, leur répondent : ce n’est pas du cinéma, c’est pire.

Ce qui accroche tout de suite les spectateurs, c’est le titre du film Ni juge ni soumise. Il se réfère au mouvement féministe « Ni putes ni soumises », qui a été fondé en 2003 : un jeu de mots dont la plupart des spectateurs ne se souviennent plus. Le titre fait également allusion au métier du personnage principal, Anne Gruwez. Malgré le fait qu’elle est juge d’instruction à Bruxelles, elle ne veut pas juger ceux qu’elle appelle ses « clients », c’est-à-dire les accusés ou les témoins des différentes affaires qu’elle essaie d’élucider. De l’autre côté, elle ne se voit pas non plus soumise à sa « clientèle ». Bien au contraire : elle croit être supérieure à toutes et à tous. Enfin, même si Anne Gruwez ne veut pas juger les gens, il faut toutefois juger le film.

La première scène du documentaire, qui montre notre héroïne conduisant sa Citroën 2 CV, est accompagnée musicalement par la Marche de Radetzky, composée par Johann Strauss père. Lorsqu’on regarde cette scène, on s’imaginerait bien être dans un film de fiction, plus précisément une comédie, car cette scène ressemble beaucoup au style de la série comique Mr. Bean. Mais les apparences sont trompeuses. Au cours du film, le spectateur comprend qu’il s’agit d’un documentaire et non d’une fiction, même si cette classification n’est pas tout à fait évidente.

L’absence de musique originale, par exemple, donne encore plus l’impression qu’il s’agit un documentaire. Toutefois, d’autres caractéristiques du documentaire, comme une voix-off, manquent. C’est pourquoi le spectateur croit avoir affaire à un mélange entre les deux genres.

Les réalisateurs ont accompagné Anne Gruwez pendant trois années et tourné le film Ni juge ni soumise, qui présente sa vie quotidienne. Le fil rouge du film est le cas du meurtre non résolu de deux prostituées, assassinées vingt ans auparavant. Grâce à de nouvelles méthodes de la forensique, Anne Gruwez voit la possibilité de trouver l’assassin des prostituées. L’héroïne est présentée aux spectateurs non seulement comme un juge sévère qui doit se battre avec ses différents « clients » mais aussi dans sa vie  privée, cultivant son jardin et possédant un rat comme animal domestique.

Des phrases comme « Oh, on peut tout faire ! » qu’annonce « Madame la Juge » lorsqu’elle est conduite en ville par un policier, et le fait qu’il allume la sirène indûment montrent bien le cynisme dont le film fait preuve. Comparer ce qui est moins cher pour l’État (p.ex. si un condamné va en prison ou s’il meurt tout de suite) ne fait rire que lorsqu’on est amateur d’humour noir. La manière hardie et effrontée dont Anne Gruwez parle aux gens n’est ni drôle ni divertissante ! Il n’y a que quelques scènes qui ont le potentiel d’amuser. Malheureusement, elles ne sont pas très nombreuses. Dans la plupart des cas, Anne Gruwez fait soit des blagues aux dépens de quelqu’un d’autre, soit des commentaires ou des blagues inappropriées aux situations. Sur cette trame, il est ironique de constater que la caméra portée à la main ou à l’épaule et la domination des couleurs froides comme le gris, le noir et le bleu soulignent le fait que le film est plus amateur que professionnel et réussi. Pour résumer, on doit être très endurci pour aimer ce film provocant.

Ni juge ni soumise, France / Belgique, 2017 – Réalisation : Yves Hinant, Jean Libon. Scénario : Yves Hinant, Jean Libon. Producteur : Bertrand Faivre. Image : Didier Hill-Derive. Avec : Anne Gruwez. 99 Min.

Kathrin Fotler (24) étudie le français, l’anglais et l’allemand à l’université de Tübingen. Elle est très cinéphile : pendant le festival du film francophone de Tübingen, elle a même regardé neuf films !

Quelle des Fotos: © lebureaufilms