Danse transcendante

Par Nadischa Rathje

Le drame français « Polina, danser sa vie », mis en scène par Angelin Preljocaj et Valérie Müller, montre deux écoles de danse qui ne pourraient être plus opposées : la danse classique et la danse contemporaine. Le personnage principal Polina (Anastasia Shevtsova) se retrouve entre ces deux mondes de la danse, entre une technique rigoureuse et une créativité sans limite. Le film passionne par la diversité de l’expression corporelle et n’attira pas que les amateurs de danse.

L’auteur de bandes dessinées Bastien Vivès a eu un succès incroyable avec son album « Polina » sorti en 2011. En noir et blanc, tout en se concentrant sur le corps et les mouvements, la BD raconte l’histoire de la danseuse Polina. Il s’agit de la même Polina que celle d’Angelin Preljocaj et de Valérie Müller. L’idée de s’inspirer d’une BD pour une adaptation cinématographique est inhabituelle et expérimentale à la fois. Même si l’action ne reste pas toujours fidèle à celle de l’album, la personnalité de Polina est inchangée. Avec son regard un peu froid, son côté déterminé et austère, l’histoire tourne autour d’elle, en montrant les moindres détails de sa vie. Comme Bastien Vivès le disait : « Une bonne histoire est un bon personnage ».

L’histoire commence en Russie où la petite Polina prend des cours de danse classique chez le professeur Bojinski. Son cours se distingue par une rigueur et une discipline de fer. Au moment où il demande à ses élèves ce que la danse signifie pour elles, Polina a trouvé la question clé qui va tracer toute sa vie.  Après avoir été acceptée à l’école renommée du Bolchoï lors de son adolescence, Polina regarde un spectacle de danse moderne. Elle est profondément bouleversée, si bien qu’elle décide de changer sa vie du jour au lendemain. A la recherche de sa propre valeur et contre les attentes de sa famille, elle suit son petit copain Adrien (Niels Schneider) à Aix-en-Provence pour découvrir la danse contemporaine…

Parmi 600 candidats, Anastasia Shevtsova s’est imposée pour le rôle principal. À raison ! Elle brille dans son rôle et convainc à tous égards. Au-delà de la danse, Anastasia Shevtsova maîtrise aussi le métier d’actrice, ce qui fait sa grande qualité. Niels Schneider montre sa qualité de manière inversée. L’acteur franco-canadien prouve aussi, dans le film, son talent de danseur. Dans « Polina, danser sa vie » tous les danseurs font du cinéma et tous les acteurs dansent. C’est cela la particularité du film. C’est ainsi que le vrai caractère des différents personnages est même perceptible dans les scènes de danse. 

Ce film a souvent été comparé, à tort, au thriller psychologique « Black Swan », sorti il y a six ans. Certes, tous les deux parlent de la danse, mais de deux manières très différentes. Qu’est-ce qui rend « Polina » plus charmant que le thriller psychologique ? « Black Swan » est une histoire imaginaire alors que « Polina » est beaucoup plus ancré dans la réalité. Dans « Polina, danser sa vie » le spectateur peut sentir que la danse est connectée à la réalité, que la réalité devient la danse. De surcroît, Natalie Portman qui incarne le rôle principal dans « Black Swan » avait une doublure pour certaines scènes qui dépassaient ses compétences de danseuse.

L’usage de la caméra est aussi subtil que la danse elle-même. Une caméra légère à l’épaule, fixant les différentes parties du corps lors du cours de Bojinski, montre bien à quel point la danse classique est technique. Chaque détail est important. L’entraînement du maître de danse vise la perfection. Les représentations des duos sur scène sont mises en valeur de manière très spectaculaire. Avec une caméra mobile le spectacle apparaît plus vivant. On dirait que la caméra se met à danser tandis qu’elle suit les mouvements des danseurs. Le film illustre bien qu’on n’a pas toujours besoin de mots pour raconter. La danse peut aussi bien contenir la dramaturgie qu’une scène avec des dialogues.

À la fin, Polina rend en quelque sorte hommage à Bojinski, la personne qui lui a donné toutes les bases techniques. Il voit ce qu’est devenue son élève. D’une manière timide et respectueuse, elle le regarde directement dans les yeux. L’expression sérieuse de Bojinski se transforme en un sourire délicat. En signe d’approbation et avec une certaine fierté, il ferme les yeux. Sans paroles, sans un seul mot, il y a juste les regards qui parlent. Polina prouve qu’elle a trouvé sa propre compréhension de ce que veut dire « danser ». « Polina, danser sa vie » démontre bien que la danse, peu importe qu’elle soit classique ou contemporaine, ne fascine pas seulement sur scène mais aussi au cinéma.

Polina, danser sa vie, France 2016 – Réalisation : Angelin Preljocaj, Valérie Müller.   Adaptation de la bande dessinée « Polina » de Bastien Vivès. Montage : Guillaume Saignol.  Avec : Anastasia Shevtsova, Niels Schneider, Juliette Binoche, Jérémie Bélingard, Aleksei Guskov. 144 Min.

Nadischa Rathje (25) est étudiante en master « Études interculturelles franco-allemandes » à l’université de Tübingen. Lors du festival, elle a particulièrement aimé pouvoir échanger avec les réalisateurs, compositeurs et acteurs après la présentation des films.