Cédric Herrou – un héros d’aujourd’hui ?
Par Hannah Staudenmayer
Le réalisateur Michel Toesca décrit son nouveau documentaire LIBRE comme un film sur l’accueil des réfugiés plutôt qu’un film de témoignages. Un documentaire touchant et émouvant avec un hommage rendu à ceux qui ont rejoint la cause tout en évitant de s’intéresser à ceux qui tentent de fermer les yeux.
L’homme barbu d’âge moyen sourit vaguement en regardent directement vers la caméra et tente de mettre en mots ce qui vient de se passer : il faisait confiance à la loi et à la justice, mais il a été déçu. Cela semble presque irréel de voir comment il essaie d’expliquer sa situation aux journalistes, pourtant il semble détendu, voire profondément décontracté. Ses paroles résonnent non seulement chez les reporters, mais aussi dans la tête du spectateur : « Libre, c’est dans la tête. Je continue d’être libre ». Peu après, il exprime sa préoccupation avec un clin d’œil : s’il était possible d’installer une tireuse à bière dans la prison… Bien compris, l’homme au sourire malicieux vient d’être condamné à 4 mois de prison et à une amende de 3 000 euros. La raison : aide humanitaire et fraternité.
L’homme condamné s’appelle Cédric Herrou, un cultivateur d’olives de la vallée de La Roya qui accueillait des réfugiés dans sa ferme. Le réalisateur Michel Toesca l’a accompagné, pendant trois années avec sa caméra, pour raconter son histoire courageuse. La vallée de La Roya se trouve au sud de la France, vallée frontalière de l’Italie. Avec d’autres habitants de La Roya, Cédric a décidé d’aider les réfugiés qui traversent la vallée pour rejoindre le centre de la France, en les hébergeant dans sa ferme. Ce faisant, il entre en conflit non seulement avec la loi française mais aussi avec les institutions de sécurité et de maintien de l’ordre du pays. Ce geste humanitaire déclenche l’action, et le combat politique et juridique de Cédric et d’autres bénévoles.
Michel Toesca parvient à raconter ces histoires et à donner une voix à ceux qui ne sont pas entendus par la société ou par le gouvernement. Avant tout, bien sûr, c’est l’histoire de Cédric, mais aussi celle des personnes autour de lui : la jeune infirmière Isabelle qui s’engage bénévolement pour assurer les soins médicaux des réfugiés ; le Big Chief qui prépare chaque jour des repas chauds et fortifiants pour plus de 90 personnes au camp ; la jeune femme qui a dû fuir la guerre en Libye avec son bébé dans le ventre ou encore Moussa, jeune réfugié, qui comprend la fermeture des frontières pour protéger l’État des terroristes. « Terroristes » comme lui, la jeune femme enceinte ou le cuisinier talentueux… C’est manifeste dans le film : les réfugiés sont indésirables en France. Que ce soit lors du contrôle des billets dans le train, soit à l’arrivée à la gare où une douzaine de policiers attendent déjà le groupe, ou encore devant le tribunal pendant le procès de Cédric, dans lequel sa voix et celle des réfugiés ne sont pas entendues. Tous ces aspects sont abordés de manière émouvante et pourtant ce ne sont pas les sujets centraux du film.
Un documentaire a pour but, généralement, d’éduquer et d’informer les spectateurs sur une certaine question. Alors, quel est l’essentiel de ce documentaire ? L’incapacité de l’Etat concernant la politique des réfugiés ? L’injustice des lois face aux actions humanitaires de Cédric ? Peut-être. Mais c’est plus que ça. Les scènes secrètement tournées avec une caméra cachée, dans les nombreuses situations délicates, montrent avant tout une chose : la confusion. La confusion des deux côtés. D’un côté, la confusion des personnes autour de Cédric qui doivent d’abord prendre conscience de leurs propres droits et obligations et de l’autre, la confusion des fonctionnaires qui semblent dépassés par les ordres venus de plus haut.
Le film « Libre » n’est pas un film qui condamne. Michel Toesca essaie aussi de montrer l’ambiance positive pendant cette période incertaine pour tout le monde. Cet optimisme se reflète dans le calme incroyable, les rires pétulants, les plaisanteries détendues et la bonne portion d’humour émanant des réfugiés et des bénévoles. Mais avant tout, on ressent la cohésion et de la confiance mutuelle. C’est ce qui rend le film si émotionnel et accessible à quiconque se laissant emmener dans la vallée de La Roya, pendant 100 minutes, pour connaître l’histoire de Cédric et de ses compagnons d’infortune.
Cédric Herrou – est-il alors le héros de l’histoire ? Une chose est certaine : il ne se considère pas comme un héros, il ne veut pas être appelé ainsi, mais se perçoit plutôt comme un être humain ayant rempli ses devoirs dans la société. Le héros du film, n’est-il pas plutôt le réalisateur Michel Toesca qui sait utiliser habilement les techniques variées de la cinématographie ? Des éléments documentaires, des prises de vues fabuleuses de nature, ainsi que des vidéos floues, faites avec un téléphone portable, montrent différents aspects des épreuves surmontées pendant ces trois années passées à La Roya.
« Libre », un documentaire qui a vraiment le potentiel d’ouvrir les yeux de la société en faveur de plus de fraternité, s’il était vu par un grand nombre. Mais qui sait ? Peut-être que le film a-t-il juste commencé à ouvrir le débat ?
LIBRE, France 2018 – Réalisation : Michel Toesca. Scénario : Michel Toesca. Image : Michel Toesca. Avec : Cédric Herrou. 100 Min.